En 1973, année du premier choc pétrolier, La Grande Bouffe de Marco Ferreri rappelait à l’homme qu’il périrait de ses excès. Dix ans plus tard, le XXe siècle amorçait sa fin avec le drame planétaire de la contamination des hommes par les virus du sida et des hépatites, stigmate d’échanges frénétiques de sperme et de sang alors réduits au simple rang de marchandises. Abus de sexe chez certains homosexuels pour compenser des siècles de frustration et de répression. Abus de sang chez certains hémophiles pour se soigner mais plus encore accéder à la norme sociale.
Ces intempérances avaient un sens pour ces deux communautés, longtemps ignorées ou méprisées, et qui n’aspiraient au fond qu’à une même reconnaissance de la société dominante. Celle-ci, grisée par le progrès et l’abondance, a méconnu ses insuffisances : incapacité à tolérer la différence, sexuelle ou physique, et à résister aux modes de vie nord-américains, illusion de la toute-puissance médicale. Ce faisant, elle a encouragé les excès qui, dans les pays riches, allaient décimer une génération dans chaque catégorie.
L’histoire du sang contaminé raconte celle d’une double guerre, contre le rejet et contre le handicap, habilement récupérée par diverses industries pour le malheur des intéressés. En France, elle balaie le mythe de la pureté du sang national glorifié par La Marseillaise et éclaire le sort cruel longtemps réservé aux victimes du sida.
Le Chant sacré relate la vie parallèle de chacune des communautés concernées – avec leurs propres mots de l’époque – jusqu’à la survenue de nouveaux virus les contraignant à une fusion fatale.