Il convient, en considérant les expressions de la symbolique égyptienne, de reconnaître le rôle primordial joué par le fleuve et d'admettre une fois de plus que "l'Egypte est un don du Nil" - à condition, en considérant le mot Nil, de comprendre l'Inondation, qui sous-entend l'essentiel de mythes et de symboles protéiformes.
Vivre sans l'Inondation, c'était imaginer la fin du monde ! A tout prix, il fallait mesurer sa force bienfaisante mais dangereuse, se la concilier, l'apaiser, l'inciter - sinon la contraindre - à dispenser vie et renaissance à cette Egypte pour laquelle son retard, son absence prolongée signifieraient agonie et mort. Cette angoisse, puis cet espoir comblé, sont puissamment exprimés par le mythe de la Déesse Lointaine, celle qui s'enfuit vers le Sud, comme pour se ressourcer dans la fureur de son ivresse amoureuse cependant que les jours et les mois s'étirent, jusqu'à ce que la juste mesure de ses limites la ramène, redevenue pacifique, vers le pays de ses premières amours.
A chaque retour de cette crue, c'est un recommencement qui scande l'existence de l'éternel fellah fidèle au fleuve rythmant impérativement la fertilité du sol, le bonheur et la fécondité de ses habitants et la renaissance de ses morts. Ainsi, La Lointaine règne-t-elle sur le temps, en complicité avec le soleil auquel elle renouvelle, au Jour de l'An, sa jouvence et celle de Pharaon.
Ch. D.-N.
Christiane Desroches Noblecourt, commandeur de la Légion d'honneur, médaillée de la Résistance, médaille d'or du Cnrs, grande médaille d'argent de l'Unesco, est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Toutânkhamon, Vie et mort d'un pharaon, traduit dans seize pays, La Femme au temps des pharaons, La Grande Nubiade, Ramsès II, la véritable histoire.